

Les enjeux historiques, géopolitiques et économiques par
macro-région
Toutes les macro-régions ne sont pas sur un pied d’égalité face au défi du changement climatique. Nous allons examiner ici la situation de la Chine, des États-Unis, de l’Europe, de la Russie et du Moyen-Orient. Nous toucherons quelques mots des contraintes auxquelles sont confrontés les pays les moins développés.
Chine
Ce pays a réalisé un parcours exemplaire sur le plan économique depuis 1990, au moins en termes de croissance économique et de progression du confort matériel moyen apporté à sa population. Depuis 1990 en effet, l’activité économique a été multipliée par 11, et celle par habitant par 9. Il n’y a pas dans l’histoire de l’humanité, même aux États-Unis à la fin du xixe siècle, moins encore au Royaume-Uni lors de la révolution industrielle, de progression équivalente sur une période de 30 ans.
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Quels seront les conséquences de la transition énergétique pour la Chine ?
A priori, la Chine est relativement bien positionnée pour sortir plutôt gagnante de la transition énergétique. Sur le plan de l’emploi, le secteur minier compte 12 millions d’emplois en Chine, un chiffre significatif mais qui ne représente que moins de 2% de l’emploi total dans le pays. La production d’énergie renouvelable requiert 4 à 5 fois plus d’emplois pour un même niveau de production d’énergie, si bien que ce secteur pourrait représenter près de 50 millions d’emplois à l’horizon 2060.
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Au total, si la Chine dispose de solides atouts pour sortir renforcée de la transition énergétique, le pays fait aussi face à de sérieux risques, particulièrement dans un contexte où les États-Unis et l’Europe sont décidés à renforcer leurs capacités industrielles.
États-Unis
Sur la question du réchauffement climatique, le pays est finalement moins homogène que l’Europe dont les pays sont, pour la plupart bien que de manière différente, convaincus de la nécessité d’agir vite et engagés dans un programme ambitieux de baisse des émissions de gaz à effet de serre[i].
Commençons par les faits. Les États-Unis sont aujourd’hui le premier émetteur historique, si l’on compte depuis le début de la révolution industrielle, mais le second derrière la Chine pour ses émissions actuelles et même celles cumulées depuis 1960. Par habitant néanmoins, les Américains émettent deux fois plus que les Européens.
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Pourtant, la situation n’est pas aussi négative qu’on pourrait le penser
Détaillons un peu les contraintes qui pèsent sur les Etats-Unis en matière de réduction des émissions. Celles provenant du secteur transport forment le deuxième poste, avec près d’un tiers du total[ii], juste derrière la production d’électricité et loin devant l’habitat et les bureaux. Sur ce total, la voiture privée est le gros morceau (60% environ), les camions pour 30% et l’avion 10% (à noter ceci n’inclut que les voyages domestiques).
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Le problème du méthane aux États-Unis
Les États-Unis en émettent beaucoup, probablement plus que ne le suggèrent les statistiques officielles car certaines sources sont mal connues (nombreuses mais petites pour chacune d’elles). Plusieurs raisons expliquent pourquoi la situation n’est guère brillante de ce côté-là. Rappelons que les principales sources de méthane sont l’agriculture, plus particulièrement l’élevage des ruminants, l’industrie gazière, pétrolière et charbonnière et les décharges.
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Et celui du CO2
Les fortes émissions de CO2 sont, nous l’avons vu, surtout dues à une surconsommation d’énergies, fossiles en particulier, par rapport à d’autres zones ou pays au niveau de développement économique comparable. L’efficacité énergétique est faible aux États-Unis, dans les transports comme dans le commerce, l’habitat ou l’industrie.
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L’Europe
Cette région dispose d’un leadership incontesté dans le domaine de la transition énergétique. Selon le World Economic Forum, qui établit un classement des pays selon leur niveau d’avancement dans la transition énergétique, l’Europe est la mieux positionnée : parmi les 20 premiers pays les mieux préparés, 16 sont Européens (les États-Unis ne pointant qu’à la 24ème position et la Chine à la 68ème)[iii].
Depuis 1990, les émissions de gaz à effet de serre de l’Europe se sont contractées de plus 25% % malgré une augmentation de l’activité économique de plus de 60%. Une large majorité des pays d’Europe ont l’ambition d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, et quelques-uns d’entre eux visent l’horizon 2040 ou 2045 (Allemagne, Suède, Finlande, Autriche).
L’Europe est relativement bien positionnée pour sortir renforcée de la transition énergétique, disposant de ressources renouvelables abondantes, vent et soleil, mais de très faibles réserves en énergies fossiles[iv].
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Autres régions
Il serait beaucoup trop long d’analyser ici en détail la situation de toutes les autres macro-régions ou pays. Arrêtons-nous sur quelques cas dont la situation est d’une grande complexité comme la Russie, le Canada, l’Australie et le Moyen-Orient. Ces trois pays ou régions sont des producteurs importants d’énergies fossiles et de forts émetteurs, au moins par habitant et unité d’activité économique. En même temps, ils sont confrontés aux conséquences du réchauffement climatique, et leurs populations sont inquiètes, bien que plutôt moins que dans les autres pays développés.
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La situation géopolitique de l’énergie
Les réserves de pétrole sont assez concentrées, et plutôt sur des zones instables politiquement. On peut calculer un indice de concentration géographique très facilement, sur la base des informations publiées par le BP statistical review : de toutes les énergies fossiles, le pétrole est celui qui a le niveau de concentration le plus élevé quand on le mesure par grande région. La concentration des exportations l’est encore bien plus car si beaucoup de pays produisent du pétrole, parfois en quantités limitées, peu exportent des volumes significatifs[v]. Or les pays qui concentrent une grande partie des réserves « ‘exportables » sont plutôt instables politiquement, avec un niveau de risque politique non négligeable[vi].
Les enjeux géopolitiques de la transition énergétique
Ces enjeux sont très nombreux, nous en avons vu certains expliquant par exemple les réticences de gros producteurs de pétrole et de gaz à s’engager dans la transition énergétique, ou même ceux de pays qui craignent qu’elle entraine, comme la Chine, un ralentissement de leur économie, avec le risque dans les deux cas de troubles politiques intérieurs.
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Le prix et la volatilité du prix de l’énergie
Les prix du pétrole sont sujets à de fortes variations, et celles-ci sont inhérentes à la façon dont sont réparties les réserves de pétrole et à des aspects géologiques qui conditionnent leur coût d’exploitation. Pour mettre au point des nouvelles technologies d’exploration permettant d’accéder à des réserves difficiles d’accès, généralement en eaux profondes, le marché a besoin que les prix s’établissent, au moins pendant un certain temps, à des niveaux élevés.
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L’accès à l’énergie et la sécurité d’approvisionnement
Avoir un approvisionnement stable et suffisant en énergies est une des conditions du développement économique, bien que ce ne soit pas lae seule[vii] : ceci n’est pas nouveau, et en réalité, au cœur de la géopolitique depuis le début de la révolution industrielle.
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La bataille pour la compétitivité
La sécurité d’approvisionnement énergétique est essentielle à un développement économique harmonieux. Mais compte tenu du poids du coût de l’énergie dans celui de la fabrication de la plupart des biens (et dans une bien moindre mesure des services), en moyenne 5% mais beaucoup plus pour certains secteurs, un accès à une énergie peu couteuse est aussi un des aspects contribuant à la compétitivité d’un pays, et donc à sa capacité de fabriquer et d’exporter des biens manufacturés.
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Électricité renouvelable et création d’emplois
La production d’électricité renouvelable apporte, au-delà des réductions de CO2 de grands avantages sur le plan économique. Dans un système traditionnel de production d’électricité à partir d’énergies fossiles, environ 80 % du coût est lié à l’achat de la matière première (gaz ou charbon), les 20 % restant sont liés au capital (machines, turbines) et à la main-d’œuvre.
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La réorganisation du système de production et d’approvisionnement en électricité
Dans un système traditionnel, quelques grosses centrales, quelques dizaines ou centaines pour les gros marchés, approvisionnent les clients finaux grâce à des lignes de haute tension et des transformateurs. Comme il est relativement aisé de prévoir la demande, en fonction des heures de la journée ou de la météo par exemple, on fait appel aux centrales pour répondre aux pics de demande, un peu comme l’on appuierait sur un accélérateur pour augmenter la vitesse quand c’est nécessaire
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Le problème de la ressource en Lithium, en cobalt, en cuivre et terres rares
Un autre enjeu stratégique relatif à l’électrification du parc de véhicules mais aussi le développement de batteries de plus grosse ou plus petite capacité (dans les smartphones et micro-ordinateurs par exemple) est la ressource : disposerons-nous de suffisamment de ressources pour construire toutes les batteries nécessaires et la ressource est-elle équitablement répartie ou à l’inverse, comme pour le pétrole, concentrée dans quelques pays ?
Les véhicules électriques utilisent des batteries Lion-Lithium et chaque véhicule requiert une dizaine de kilos de Lithium (les batteries sont beaucoup lourdes mais en raison d’autres éléments qui la composent). Les batteries Lithium Ion utilisent aussi pour certaines du cobalt, mais en quantité moindre 2-3 kg par véhicule.
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Le problème du recyclage
Le recyclage des équipements nécessaires à la production et consommation d’énergies renouvelables concernent les batteries, les panneaux solaires et les éoliennes. Toutefois, le problème est d’ampleur très variable : 95 à 99 % des panneaux solaires sont recyclés en Chine et en Europe, tandis que le recyclage des batteries, fixé à un minimum de 50 % par la communauté Européenne, devrait s’améliorer considérablement dans les années à venir.
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L’équilibre des finances des États
Un grand nombre d’Éétats, surtout dans les pays développés, sont en situation de déficit public structurel depuis des années, voire des dizaines d’années. C’est le cas notamment des États-Unis, du Japon, mais aussi de la France, de l’Italie ou du Royaume-Uni et bien d’autres encore. Si certains Éétats ont des finances équilibrées et des niveaux de dette faibles, la plupart des États ont aujourd’hui un endettement public supérieur à une demi-année d’activité économique.
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La transformation de l’Industrie automobile
L’industrie automobile doit se transformer profondément en se montrant capable d’abandonner à terme le moteur thermique, tout en fabriquant des véhicules qui seront à la fois plus efficaces sur le plan énergétique et dont on pourra recycler presque tous les composants, batterie comprise. C’est donc un défi technologique majeur pour tous les grands producteurs de véhicules, Etats-Unis, Japon et Europe (particulièrement Allemagne, France, Italie mais pas seulement).
Pour l’Europe, c’est sans doute un défi particulier : lL’e-mobilité requiert des compétences différentes, où la batterie, l’électronique et le digital deviennent les éléments critiques, bien plus que le moteur ou la boite de vitesse. Une voiture électrique est un objet industriel bien moins compliqué qu’une voiture thermique : il faut 1 000 pièces différentes pour fabriquer une voiture traditionnelle, c’est 5 fois moins pour une voiture électrique (ce qui explique en partie les coûts d’entretien plus faibles).
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L’accès à la technologie
Un autre aspect critique est celui de l’accès aux technologies nécessaires à la transition énergétique, et sur ce point, trois régions en particulier se livrent une féroce compétition où tous les coups ou presque sont permis, : la Chine, l’Europe (la communauté Européenne) et les États-Unis. Il existe trois façons de disposer des technologies nécessaires : les développer, les acheter ou les voler.
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L’impact sur la santé
Certains observateurs suggèrent que les éoliennes pourraient avoir un effet néfaste sur la santé de ceux qui vivent à leur proximité. En réalité, sur ce point précis, il n’existe aucune conclusion définitive : plusieurs études suggèrent que les effets sur la santé sont mineurs et essentiellement liés à des facteurs psychologiques
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[i] L’Europe, à l’exception de la Pologne, s’est fixée l’objectif de la neutralité carbone en 2050, et certains États membres ont même un objectif plus ambitieux, car plus rapproché, comme la Finlande.
[ii] Emissions of Carbon Dioxide in the Transportation Sector, par le ‘Congress Budget office’, 2022
[iii] Fostering Effective Energy Transition 2021 edition, World Economic Forum
[iv] Néanmoins, l’Europe est handicapée par le manque d’espace vide lié à sa forte densité de population, ce qui rend plus difficile le déploiement de l’éolien terrestre et du solaire
[v] Selon le BP statistical Review, la concentration a tendance à baisser : le Moyen-Orient ne contrôle plus que la moitié des réserves, contre près des deux tiers en 1990. Ceci s’explique par le poids croissant du continent Américain, en raison d’une hausse significative en Amérique du Nord et au Venezuela. Toutefois, les réserves du Venezuela sont constituées d’un pétrole très lourd et de mauvaise qualité, et la production du pays s’est littéralement effondrée depuis 1980. L’Agence Internationale de l’Énergie fournit des informations détaillées sur les exportations de pétrole qui montrent un niveau de concentration très élevé, bien plus encore que la production.
[vi] Beaucoup d’observateurs pensent que c’est précisément parce qu’ils ont beaucoup de réserves de pétroles que ces pays sont souvent gangrenés par la corruption et donc instables politiquement.
[vii] Une des raisons qui expliquent le décollage de l’économie Américaine s’explique, outre par une immigration massive à partir de 1865, par un niveau d’éducation plus élevé qu’au Royaume-Uni ou en France par exemple. Quand le taux d’alphabétisation y était de 30 à 40 % au milieu du XIX, il était déjà supérieur à 90 % aux États-Unis.